Pierre Guyotat

Je viens de découvrir (seulement maintenant?! je m'en veux) un très grand livre. Eden, Eden, Eden, de Pierre Guyotat. C'est d'une beauté sans merci. Cet ouvrage me sidère. Ames sensibles s'abstenir.

Il a déjà été question dans ce forum de cruauté je crois, de gore, de "malsain" même. Eden, Eden, Eden rentre dans toutes ces catégories, les étire et les déborde. Pour tout vous dire, il devient difficile de lire ou d'écrire après ce genre de lectures. C'est aussi à l'aune de cette beauté-là qu'il faut juger le monde.

Note à benêts: je suis équipé d'un paratonnerre et me tamponne pas mal de la foudre de ceux qui, pour des raisons que je vois venir à dix kilomètres, n'ont pas aimé ou n'aimeront pas ce livre. Je ne veux pas rentrer dans un débat moralisant ou éthique. Que ce soit clair. :DD

Heureusement que je ne l'ai pas lu ! Si jamais j'avais pas aimé, j'aurais eu peur de poster un commentaire ...

Mais c'est pas pour ça que je ne le lirai pas, na !

Ton livre me plait déjà, GUNTHAR !

Gniark gniark!

Citation :

Note à benêts: je suis équipé d'un paratonnerre et me tamponne pas mal de la foudre de ceux qui, pour des raisons que je vois venir à dix kilomètres, n'ont pas aimé ou n'aimeront pas ce livre. Je ne veux pas rentrer dans un débat moralisant ou éthique. Que ce soit clair

et un débat qui n'est ni moralisateur ni éthique ,on y a droit????

le but d'un forum c'est la discussion ....
juste pour rappel.......


quant au livre en lui même ,peux tu nous en dire un peu plus????

ton accroche me plait énormément mais je n'ai pas (pour une fois) envie de chercher par moi même ,j'aimerai mieux que tu nous le fasse découvrir...
merci!

L'histoire du paratonnerre, c'était une simple précaution oratoire, un peu lâche il est vrai. Je m'en excuse.

Alors je pourrais vous dire simplement que Guyotat est un digne héritier de Sade, Rabelais, Bataille, Céline et Artaud. Ce serait trop réducteur et "cloisonnant".

Eden, que je suis en train de finir, est vraiment cracra. Cloacal. Mais ce n'est pas du Guillaume Dustan par exemple... Rien à voir avec de l'autofiction pornographisante. Certes, c'est bourré de cul, pour parler de manière crue. On a le droit de pas aimer ce livre à cause de ça, j'en conviens. D'où mon paratonnerre oratoire.

C'est très violent, volontiers choquant. Mais le plus important, c'est cette faconde, cette verve, ce style tellement vivant. Un peu baroque aux entournures. Et c'est définitivement à ce niveau qu'Eden est remarquable. Il y a vraiment un travail sur la langue. Les autres bouquins de Guyotat, j'en ai lu quelques extraits, vont encore plus loin, au plan stylistique. Frisent l'illisible.

Difficile de dire de quoi ça parle. Parce que le récit, la diégèse plutôt (pour parler comme ceux qui savent ou croient savoir), est meurtri, violenté, mis en pièces, tourneboulé, violé, tourmenté par l'écriture de Guyotat. Le paradoxe, c'est qu'il reste un souffle épique là-dedans. Il s'en dégage une inquiétante poésie.

Paru en 1970, interdit jusqu'en 1981, le livre est désormais publié chez Gallimard, avec trois préfaces en annexe (de Leiris, Barthes et Sollers).

C'est vraiment quelque chose, une véritable expérience. Mais, je le répète, âmes sensibles s'abstenir. Et puis d'ailleurs, maintenant que j'y pense, les âmes pas sensibles (les viandards, mais il n'y en a pas ici que je sache) ne trouveront rien qui leur parle vraiment dans ce beau livre.

Seul hic potentiel, le livre est salement répétitif, sans alinéa aucun (250 pages ça fait beaucoup à avaler d'un coup), littéralement éjaculé en une seule longue phrase entrecoupée de virgules, de points-virgule, de tirets, de slashes carrément agressifs, cà et là de quelques guillemets - bref un énorme tableau peint à la vas-y comme je te pousse, dans une prose à hue et à dia.

A vous de voir maintenant. Le monstre est lâché.

J'ai attaqué un autre livre de Guyotat, intitulé Le Livre. C'est quelque chose de foudroyant, d'incompréhensible.

Un type de l'Académie Française a dit un jour que l'on pouvait violer la langue, à la seule condition de lui faire de beaux enfants. Perdu dans les déserts de la Prostitution, Guyotat vraisemblablement n'a cure d'une telle descendance; il met bas des monstres complèments hachés, mutilés dès la naissance. Mutilés et comme plus aptes à signifier ...

C'est une drôle d'oeuvre que celle de Guyotat. On n'est pas près de l'apprivoiser. L'homme nous met en garde, dans sa préface où il décrit son "grand dessein":

"Sous l'impulsion de la plus grande quantité possible de corps, de lots de corps esclaves déportés d'un bout à l'autre des terres connues et du Temps, réanimer la plus grande quantité possible d'Eléments, de peuples, de faune, de flore, d'intempéries, de transports, de monnaie, d'habitats, de voiries, de nourritures, de médecines, de vêtements, d'ustensiles, de parures, de philtres, d'outils, d'instruments de guerre, d'asservissement et de musique, de sépultures, de métiers, de fonctions, de hiérarchies profanes, sacrées, de lois, de divertissements, de supplices, de lexiques, d'arts, de sciences, de liturgies et d'incantations du divin, le tout même le plus "pur" - de l'étoile filante à l'étoile de mer, de la bouillie du nourrisson à la salive du Christ, du décret d'affranchissement aux Tables de la Loi, des feuillets de Kepler aux tablettes d'Antigone -, ce tout, infecté désespérément dans la Grande Pandémie Prostitutionnelle."

J'y retourne.