Tortueux Sentiers
Elevé sur un pic rocheux battu par le vent, entouré de brumes, je contemple le monde du haut de mon promontoire rocheux. Le temps est à la pluie, et les nuages sont gris ; seul, devant une éternité de brume. Du haut de ma falaise, je pense au temps qui passe en courant, au fil des âges. Mes ancêtres ont daigné m’offrir en héritage une capacité exceptionnelle, celle de vivre, et je ne parviens pas à honorer cette faculté. Les mots reviennent me hanter, et la pluie tombe noire, en un crachin d’encre froid et douloureux. Je me serre, je n’ai plus de volonté. Sous mes pieds, le sol se dérobe pour laisser place aux flots houleux d’un océan de rêves, dont les vagues désabusées viennent s’offrir mollement à la rudesse des brisants. Je me laisse aller à un vague à l’âme morose. Mon esprit n’est qu’une page blanche, qui n’attend qu’à être remplie. Mais hélas, elle n’est comblée que de solitude et de tristesse. Détournant les yeux de cette vision froide et agressive, je regarde les dernières mousses roussies, chassées par le vent, arrachées aux arbres nus, dont les longues branches pendent, vides et exposées, comme les bras ballants, d’un homme à qui le sens de ses actions échappe.
Le rouge soleil se couche, au milieu d’un ciel en sang, meurtri, blessé par tout ce qu’il n’est plus. La plume à la main, j’écris et j’écris, je noircis d’encre de nombreuses pages. Mais, croyant suivre les pas des grands romanciers, je me perds au milieu de sinueux sentiers sans avenir, ne menant qu’aux frontières de l’oubli.
Le vent souffle, et les rêves s’effacent. L’espoir s’en va, laissant place à la solitude et la mélancolie. Ensembles, nous marchons, laissant la nuit border nos utopies démesurées. La plainte des hiboux remplace les roucoulements des hirondelles, et les foyers s’éteignent, tels des feux de détresses enfin éteint par le rempart de solitude que dresse l’esprit. Doux parfums automnaux, légère brise qui transporte mon âme vers des cieux plus propices. Le ciel constellé d’étoiles me rappelle une autre époque, un autre temps. A mes pieds coule une rivière argentée de rage et de désespoir. Je m’y enfonce avec exaltation ; je me laisse emporter par les flots tumultueux du destin. Ma mémoire aussi, s’en va, me livrant, nu et sans armes, aux crocs acérés du présent. Les griffes mordent, un voile gris masque les points lumineux. Je me tords de douleur, mais ne me débats point. A quoi bon résister à l’appel désiré ? Quitte à s’en sortir à coups de poignards, autant opter pour les voies bienfaitrices que la vie nous propose… Mais des mains viennent à moi, et se tendent vers mon corps abandonné. Je ne sais que faire, engagé sur la voie fataliste du destin. Les bras salutaires s’emparent de mes jambes, et me tirent vers l’extérieur. La douleur s’aggrave, je suis tiré de toutes parts. Il n’y a qu’un pas, qu’un choix. Et au fond, pourquoi pas ? Je me laisse tirer du ventre de la bête, je les laisse me sortir de l’eau. Mon âme me revient, mes pensées et ma mémoire. Jeté sur la berge par des âmes charitables et bienfaitrices, je goûte enfin à la vie. Mes présents sauveurs m’offrent une plume d’oie, je doute d’en faire bon usage. Alors jaillit du ciel bleu une seule et unique goutte d’encre, qui vient se déposer au bout de mon présent.
Merci.